Entretien préalable à distance : est-ce possible ?
L’employeur peut-il organiser un entretien préalable à licenciement par téléphone ou visio-conférence ?
Le code du travail ne précise pas que l’entretien préalable doit obligatoirement se tenir sur le lieu de travail.
Mais la lettre de convocation doit indiquer le lieu de l’entretien, ce qui sous-entend une rencontre physique – et non virtuelle – entre le salarié et l’employeur.
L’employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable (L1232-2).
La lettre de convocation prévue à l’article L. 1232-2 indique l’objet de l’entretien entre le salarié et l’employeur.
Elle précise la date, l’heure et le lieu de cet entretien.
Elle rappelle que le salarié peut se faire assister pour cet entretien par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise ou, en l’absence d’institutions représentatives dans l’entreprise, par un conseiller du salarié (article R1232-1).
Le salarié qui souhaite se faire assister, lors de l’entretien préalable à son licenciement, par un conseiller du salarié communique à celui-ci la date, l’heure et le lieu de l’entretien.
Le salarié informe l’employeur de sa démarche (R1232-2).
Peut-on organiser l’entretien préalable par téléphone ?
Dans une décision de 1991, la Cour de cassation a jugé qu’une conversation téléphonique ne saurait remplacer l’entretien préalable prévu par le Code du travail (Cour de cassation, chambre sociale, 14 novembre 1991, n°90-44195).
- Plus récemment, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a jugé qu’un entretien préalable qui se déroule par téléphone n’est pas une pratique autorisée par la loi ni validée par la jurisprudence. La procédure est par conséquent irrégulière (Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 14 février 2020, n° 17/10274).
Dans cette affaire, l’employeur soutenait:
– qu’aucune disposition légale ne prévoit le lieu dans lequel doit se tenir l’entretien préalable et qu’aucune obligation ne pèse sur l’employeur d’y procéder sur le lieu de travail
– qu’il avait été proposé à la salariée de procéder à l’entretien par téléphone tout en étant assistée d’un délégué syndical alors que l’employeur n’y était pas tenu.
La salariée contestait la position de l’employeur, exposant que l’entretien était irrégulier car :
– il s’était déroulé par téléphone, l’employeur ayant refusé de le reporter alors qu’elle avait prévenu de son impossibilité de se déplacer compte tenu de son état de santé;
– il s’agissait d’un entretien informel au cours duquel il n’avait pas été question de son licenciement.
La jurisprudence considère ainsi que les entretiens préalables à licenciement réalisés par téléphone ne sont pas réguliers.
Qu’en est-il pour la visioconférence ?
Peut-on organiser l’entretien préalable par visio-conférence ?
La Cour de cassation ne s’est pas (encore) prononcée sur ce point.
Cependant, plusieurs Cours d’appel ont été saisies de cette question.
- La Cour d’appel de Bourges (décision du 15 novembre 2019, n° 18/00201) a jugé irrégulière une procédure de licenciement intervenue dans ce contexte.
La salariée faisait grief à l’employeur de ne pas l’avoir avisée que la directrice des ressources humaines serait en visio-conférence pour assister la directrice de l’établissement, et considérait que ce procédé ne permettait pas de savoir qui assistait réellement à l’entretien.
L’employeur exposait quant à lui que l’utilisation de la visio-conférence répondait à des nécessités d’organisation résultant de l’éloignement géographique des parties d’une part et permettait de garantir le caractère contradictoire de l’entretien préalable sans aucun enregistrement sonore ou visuel de la conversation.
La Cour d’appel de Bourges rappelle tout d’abord que le choix du lieu de l’entretien entre le lieu d’exécution du contrat de travail et le siège social de l’entreprise appartient à l’employeur. Aucune disposition légale ou réglementaire n’impose à l’employeur d’informer le salarié que l’entretien préalable se déroulera en visio-conférence.
C’est en principe l’employeur qui doit être l’interlocuteur du salarié lors de l’entretien préalable mais il peut se faire représenter par un membre du personnel ayant qualité pour embaucher ou licencier les salariés et être assisté par un salarié de l’entreprise.
La Cour juge que s’il est exact qu’aucune disposition légale ou réglementaire ne fait obligation à l’employeur d’informer le salarié de la tenue de l’entretien préalable en visio-conférence et que l’employeur justifiait par une attestation de sa directrice des ressources humaines que le système de visio-conférence utilisé par ses soins ne donnait pas lieu à enregistrement, il n’en demeurait pas moins qu’en l’absence de plus amples précisions sur le dispositif technique utilisé, force était de constater que ce dernier ne permettait pas de s’assurer que seule la directrice était présente à distance pour l’entretien préalable de la salariée. Dès lors, la procédure était irrégulière.
- La Cour d’appel de Grenoble (décision du 7 janvier 2020, n°17/02442) a jugé irrégulière la procédure de licenciement intervenue suite à un entretien préalable en visio-conférence à l’aide du logiciel skype :
Il ne ressort pas des dispositions réglementaires d’application des articles L. 1232-2 et L. 1232-3 du code du travail que l’entretien préalable à licenciement peut se dérouler par visio-conférence. Il est constant qu’en matière pénale, l’usage de la visio-conférence est autorisé. Cependant, cette mise en oeuvre est expressément prévue et encadrée par la loi.
Le code du travail ne comprend aucune disposition permettant de déroger au principe d’une rencontre physique.
Il n’est pas justifié par l’employeur que le salarié aurait marqué son accord sur une telle procédure.
Il en résulte que M. Y a été privé de la possibilité d’une rencontre physique avec son employeur. Le préjudice qu’il a ainsi subi, tenant dans les conditions dans lesquelles s’est tenu cet entretien, justifie de lui allouer la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts.
- La Cour d’appel de Rennes (décision du 11 mai 2016, n° 14/08483) semble être la seule Cour d’appel a avoir jugé qu’une telle procédure était régulière mais les circonstances étaient différentes : l’entretien en visio conférence était intervenu à la demande du salarié qui n’avait pas la possibilité de se déplacer pour raisons familiales et médicales, et qui avait été assisté lors de l’entretien. L’employeur avait accepté ces modalités.
Il ressort de ces différentes décisions de Cours d’appel qu’un entretien préalable à licenciement organisé en visio-conférence est régulier uniquement si le salarié y consent (la preuve de son accord doit être apportée en cas de litige), s’il est informé des dispositifs mis en place (ne permettant pas un enregistrement notamment) et de l’identité des personnes présentes. L’entretien préalable doit en effet respecter des garanties de confidentialité.
Lire également les articles publiés sur le Blog pratique du droit du travail relatifs à l’entretien préalable : ici
Cet article a été rédigé par Maître Nathalie Lailler, avocate spécialiste en droit du travail, de la sécurité sociale et de la protection sociale.
Si vous souhaitez une réponse documentée ou un conseil, vous pouvez demander une consultation en ligne avec Maître Lailler ici.
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