Peut-on regarder le Tour de France au travail sans être sanctionné ?
Tous les ans, à la même époque, les salariés passionnés de vélo sont frustrés de ne pouvoir suivre en direct le Tour de France. La tentation est alors grande de regarder les étapes sur son smartphone ou son ordinateur ? Que risque-t-on ? Peut-on être sanctionné ou licencié ?
Le salarié ne doit pas se livrer à des activités personnelles au travail
Le principe de la relation de travail est que le salarié fournit un travail pour lequel il est rémunéré.
Le code du travail précise que « le contrat de travail est exécuté de bonne foi » (article L1222-1).
Ainsi, le salarié doit consacrer à son travail le temps pour lequel il est rémunéré. Il ne doit pas se livrer à des activités personnelles.
On parle également de l’obligation de loyauté du salarié à l’égard de son employeur – obligation réciproque d’ailleurs.
Que risque le salarié qui regarde le Tour de France au travail ?
Le salarié qui consacre son temps de travail à une activité personnelle peut se voir infliger une sanction telle qu’avertissement ou blâme. Une sanction plus sévère peut être notifiée selon la gravité du manquement ou sa récurrence, telle une mise à pied disciplinaire d’un jour ou plus avec retenue de salaire, voire un licenciement si les faits le justifient.
L’employeur adaptera en effet sa sanction selon que le salarié est en « récidive » – on l’a déjà averti, oralement ou par écrit et malgré cet avertissement, il ne modifie pas son comportement – ou qu’’il s’agit d’une « première fois ».
La sanction sera également fonction de l’activité. Par exemple, si le salarié est employé pour assurer de la surveillance, il pourra être sanctionné plus sévèrement.
Les fonctions du salarié peuvent être prises en compte
Le choix de la sanction dépend également des fonctions occupées par le salarié. Ainsi, un agent de sécurité a pu être licencié pour faute grave parce qu’il avait quitté le site où il travaillait au motif, avait-il indiqué, que son poste de télévision portatif ne captait pas et qu’ « il ne pouvait pas passer toute une nuit à ne rien faire sans pouvoir regarder la télévision » (Cour d’appel de Paris, 6, 10, 24 octobre 2018 n°16/11568).
Le salarié a ensuite soutenu que » son poste de travail était un espace fermé, confiné, sans aucune ouverture à l’extérieur, situé à la confluence de deux passages avec une caméra qui filme en continu le passage des couloirs, ainsi qu’à travers une vitre, la totalité de l’espace habitable du poste de sécurité » et qu’il avait donc exercé légitimement son droit de retrait face à une situation de travail dont il avait un motif légitime de penser qu’elle présentait un danger grave ou imminent pour lui.
La cour d’appel a cependant retenu que le salarié, lors de son départ brusque, n’avait pas alerté son employeur ni fourni de motif légitime alléguant uniquement qu’il ne pouvait regarder la télévision à partir d’un poste portatif ni soutenu l’exercice de son droit de retrait ; dès lors, le salarié ne démontrait pas la gravité et la proximité d’un danger allégué et ne pouvait justifier ses absences.
Dès lors, précisent les juges, au regard des fonctions qu’il exerçait et des perturbations engendrées par ses absences réitérées et injustifiées, le licenciement du salarié pour faute grave se trouvait justifié.
Tout est question de proportionnalité et de mesure
Si l’employeur prononce une sanction qui apparaît disproportionnée par rapport à la faute, aux circonstances, à l’ancienneté du salarié etc. ,il s’expose à ce que celle-ci soit contestée par le salarié.
Voir sur ce sujet les articles publiés sur le Blog pratique du droit du travail :
– Sanction disciplinaire annulée : un salarié peut demander réparation
– Avertissement injustifié : le salarié peut demander réparation
Ce que disent les juges :
Plusieurs décisions ont été rendues par les juridictions dans des situations ou le salarié visionnait un évènement sportif (football, basket, jeux olympiques) ou un film mais peu d’entre elles valident la sanction de licenciement, estimant qu’elle est disproportionnée, ou que les preuves font défaut.
Avertissement justifié
- Décision de la Cour d’appel de Lyon, 15 décembre 2010, n°10/01797
Une salariée, employée en qualité d’agent de sûreté et affectée sur un site aéroportuaire se voit notifier un avertissement pour avoir « regardé un film sur un ordinateur portable sur les lieux et pendant les heures du travail », attitude qui contrevenait au règlement intérieur dont la salariée avait déclaré avoir pris connaissance et qui prohibait de regarder la télévision pendant les heures de travail ».
Par extension, précise la Cour, « cette disposition s’applique à tout appareil permettant de regarder des films ou de procéder à toutes activités de visionnage de nature à distraire l’agent de son travail ».
La salariée n’avait pas contesté les faits et un avertissement lui avait été notifié dont elle avait demandé ensuite l’annulation en justice. La Cour d’appel juge que la sanction est justifiée.
Licenciement justifié
- Décision de la Cour d’appel de Poitiers, 15 mars 2017, n°15/04997
Un salarié, employé en qualité de coordinateur d’équipe sécurité dans un hypermarché est licencié pour avoir regardé durant deux heures, depuis le poste de contrôle vidéo du magasin, le match de la coupe du monde de football France-Allemagne, en présence d’un subordonné, et avoir en outre proposé à un autre agent de sécurité de regarder le match avec eux. Pour effectuer le visionnage du match, le salarié avait utilisé un « rail vidéo » du dispositif de surveillance du magasin, pour zoomer et diffuser le match sur l’un des plus grands écrans du PC vidéo.
Le salarié contestait la durée du visionnage, qu’il estimait à moins de dix minutes « en cumulé » et contestait avoir incité un collègue à le faire.
L’employeur quant à lui, considérait que « les faits étaient graves par nature puisqu’ils avaient permis de réduire le dispositif de surveillance de l’hypermarché en le privant de son moyen de contrôle le plus efficace durant 2 heures et que la gravité de la faute était accrue du fait des fonctions de coordinateur du service de sécurité du magasin exercées par M. […] qui, devant donner l’exemple à ses subordonnés, avait au contraire autorisé l’un d’entre eux, M. […], à immobiliser une partie du dispositif pour regarder le match de football et avait incité un autre agent de sécurité à se joindre à eux. »
La Cour d’appel déboute le salarié de ses demandes formées au titre du licenciement.
Elle constate que les pièces produites par l’employeur « rendent clairement compte de ce que le 4 juillet 2014, entre 18 et 20 h, M. […] est resté durant près de deux heures au PC vidéo du magasin, a été vu par l’un des agents de sécurité placé sous son contrôle, regardant un match de football sur l’un des écrans vidéos du PC en compagnie d’un autre agent de sécurité, également placé sous son autorité, qui préalablement avait détourné l’une des caméras mobiles du dispositif de surveillance du magasin pour ‘zoomer’ avec celle-ci sur un écran de télévision situé en surface de vente diffusant ce match, n’a pris aucune mesure pour mettre fin à cette situation et pire a invité le premier de ces deux agents à regarder le match dans le PC vidéo puis, devant son refus, lui a intimé l’ordre de ne pas informer un autre agent de sécurité de la situation et ainsi, au mépris de ses fonctions de coordonnateur de l’équipe de sécurité placée sous ses ordres, a accepté de son subordonné en poste dans ce PC qu’il neutralise durant près de deux heures une partie du dispositif de surveillance du magasin, qu’il suspende pendant le même temps ses fonctions de contrôle au PC et a incité un autre de ses subordonnés à suspendre ses fonctions pour se joindre au spectacle.
Ces faits imputables au salarié (…) constituent une violation de ses obligations résultant de son contrat de travail et des relations de travail d’une importance telle qu’elle rendait impossible son maintien dans l’entreprise y compris pendant la durée du préavis, peu important qu’aucun incident n’ait été à déplorer le jour des faits dans le magasin, ce qu’au demeurant M. […] affirme sans le démontrer. »
Les circonstances qui entourent la faute comptent
Dans cette affaire, on constate que ce n’est pas uniquement le visionnage d’un match de football sur le temps et le lieu de travail qui motive le licenciement mais également l’ensemble des circonstances qui entourent ce visionnage : la durée de deux heures et le défaut de surveillance que cela engendre, le détournement des dispositifs de surveillance du magasin pour pouvoir regarder le match sur un écran plus grand, l’invitation à se joindre à lui faite aux collègues dont il est le responsable.
- Décision de la Cour d’appel de Metz, 20 août 2014, n°13/02845 (https://www.lexbase.fr/jurisprudence/35803561-ca-metz-20082014-n-1302845-confirmation°
Un salarié employé en qualité d’agent de sécurité est licencié pour plusieurs faits fautifs, notamment avoir visionné un match de basket sur l’ordinateur du client au moyen d’un lecteur de DVD.
Le salarié avait été « pris sur le fait » par des contrôleurs qui avaient remarqué au travers de la vitre que le salarié avait de manière précipitée éteint l’ordinateur du client avant de leur ouvrir ; ils ont ensuite sorti un lecteur de DVD qui se trouvait sous le bureau, sur la tour informatique du PC client. Selon le rapport, le salarié a reconnu que le matériel lui appartenait et qu’il regardait effectivement un film, à savoir un match de basket.
A l’audience du Conseil de prud’hommes, le salarié avait été invité à s’exprimer et n’avait pas contesté avoir visionné un DVD. Il avait néanmoins interjeté appel du jugement qui l’avait débouté de sa contestation.
En appel, le jugement est confirmé ; les juges relèvent que l’intéressé, en visionnant ce film pendant son lieu de travail, avait également contrevenu aux prescriptions du règlement intérieur qui étaient rappelées dans la lettre de licenciement.
- Décision de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 6 mars 2007, n° 05/21827 (https://www.lexbase.fr/jurisprudence/3993601-ca-aixenprovence-06032007-n-0521827-confirmation)
Le règlement intérieur prévoyait en effet qu’il était interdit de se livrer à « tout acte de nature à troubler le bon ordre de la discipline » notamment « regarder la télévision pendant les heures de travail ou introduire un téléviseur sur les lieux de travail ».
Un salarié employé en qualité d’agent de sécurité est licencié pour plusieurs faits fautifs, dont l’introduction d’un téléviseur sur le lieu du travail, mais également la non-présentation de la carte professionnelle, le fait de s’être présenté revêtu d’une tenue professionnelle sale et incomplète et de s’être endormi sur le lieu de travail.
Le règlement intérieur interdisait au personnel de regarder la télévision pendant les heures de travail ou d’introduire un téléviseur.
Les faits n’étaient pas contestés par le salarié. Ils caractérisaient, précise la cour, « plusieurs manquements graves et répétés de la part du salarié à ses obligations contractuelles, l’agent de sécurité ayant pour vocation, comme le souligne à juste titre l’employeur, d’assurer une surveillance et la sécurité et non de dormir sur son lieu de travail, de sorte que le comportement fautif de Monsieur […] rend impossible la poursuite de la relation de travail même pendant la brève période du préavis ».
Le licenciement pour faute grave était donc confirmé par la Cour.
L’accumulation de faits fautifs pèse dans la décision de l’employeur
Dans cette affaire, les autres faits fautifs ont sans nul doute pesé dans le choix de la sanction, à savoir le licenciement pour faute grave. Il n’est pas certain que le seul fait d’avoir introduit un téléviseur sur le lieu de travail aurait justifié la sanction de licenciement. L’employeur se serait plus vraisemblablement orienté vers un avertissement ou une mise à pied disciplinaire.
Licenciement non justifié
- Décision de la Cour d’appel de Lyon, 22 octobre 2021, n°19/02000 (https://www.lexbase.fr/jurisprudence/73657394-ca-lyon-22102021-n-1902000-infirmation)
Un salarié, employé en qualité d’aide médico-psychologique dans un foyer d’hébergement destiné à des adultes en situation de handicap mental ou psychique est licencié pour, parmi plusieurs autres fautes, « avoir cessé prématurément son activité dans la soirée pour s’allonger sur le canapé et regarder la télévision ». Ce grief est corroboré par le témoignage de sa collègue qui l’a trouvé « dans la salle à manger située à l’étage, en chaussettes, allongé sur le canapé, la télécommande à la main en train de regarder la télévision alors que celle-ci, s’occupant des résidents, le cherchait ».
L’employeur précisait dans sa lettre de licenciement : « En affichant ainsi une telle attitude, vous avez non seulement méconnu vos obligations découlant de votre contrat de travail et du règlement intérieur en vigueur mais également adopté un positionnement professionnel en totale opposition avec celui attendu d’un aide médico-psychologique en charge de l’accompagnement de personnes en situation de handicap. »
La cour d’appel va cependant juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse au motif que « l’ensemble des griefs reprochés au salarié reposent exclusivement sur quatre attestations de collègues de travail, dont deux sont sujettes à discussion. Dans ces conditions, précisent les juges, il existe un doute sur la réalité des faits reprochés au salarié, qui doit lui profiter. »
Le doute profite au salarié
L’article L1235-1 du code du travail précise en effet, dans son chapitre consacré à la contestation du licenciement, que « si un doute subsiste, il profite au salarié ».
- Décision de la Cour d’appel de Colmar, 12 mars 2009, n°A 07/03528 (https://www.lexbase.fr/jurisprudence/38093896-ca-colmar-12032009-n-a-0703528-infirmation)
Un salarié chef d’agence d’une entreprise de logistique est licencié pour diverses fautes, notamment pour avoir regardé les Jeux Olympiques à la télévision pendant le temps de travail. Le licenciement est jugé dénué de cause réelle et sérieuse, la preuve des faits reprochés n’étant pas rapportée.
On constate, à la lecture de ces quelques décisions, que la sanction est justifiée lorsqu’elle est proportionnée à la faute (avertissement plutôt que licenciement) ou lorsque les fonctions du salarié exigent une attention à son travail (agent de sécurité) et que la sanction n’est pas confirmée par les juges lorsque la preuve du fait fautif n’est pas apportée.
Quelle preuve apporter ?
Si les faits sont contestés par le salarié, l’employeur devra apporter la preuve du fait reproché.
Obligation de loyauté
La preuve obéit à certaines règles, notamment la loyauté.
Ainsi, dans le procès civil, il n’est pas possible de produire une preuve obtenue de façon déloyale ou illicite.
Une preuve obtenue de façon déloyale peut être écartée par le juge.
Respect de la vie privée
La preuve ne doit pas porter atteinte à la vie privée.
Ainsi, l’employeur ne peut filmer ou enregistrer le salarié à son insu, et vice versa. Le fait de filmer ou enregistrer une personne à son insu est en effet une infraction réprimée par le code pénal (article 226-1 : Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui : 1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ; 2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé. 3° En captant, enregistrant ou transmettant, par quelque moyen que ce soit, la localisation en temps réel ou en différé d’une personne sans le consentement de celle-ci.)
Nul ne peut se constituer une preuve à soi-même
L’employeur ne peut pas produire une preuve qu’il a lui-même établie, par exemple sa propre attestation. L’article 1363 du code civil précise en effet : « nul ne peut se constituer de titre à soi-même ».
Le témoignage
En résumé, la preuve se fera principalement par témoignage. L’employeur devra alors apporter une attestation, de préférence conforme aux dispositions des articles 200 à 203 du code de procédure civile. Télécharger l’imprimé d’attestation de témoin.
Un élément déterminant : le règlement intérieur
Dans plusieurs affaires évoquées précédemment, les juges ont confirmé les sanctions prononcées car l’interdiction de regarder la télévision pendant les heures de travail ou d’introduire un téléviseur était prévue par le règlement intérieur et que le salarié avait eu connaissance du règlement intérieur.
Pour mémoire, depuis le 1er janvier 2020, un règlement intérieur est obligatoire dans les entreprises de 50 salariés et plus (auparavant, le seuil de l’obligation était 20 salariés et plus).
A défaut de règlement intérieur, lorsque celui-ci est obligatoire, l’employeur ne peut prononcer une sanction disciplinaire autre que le licenciement (en ce sens : Cass. soc. 23 mars 2017 n°15-23090).
C’est en effet le règlement intérieur qui fixe la nature et l’échelle des sanctions.
En conclusion : Regarder le Tour de France – ou tout autre évènement sportif – sur son lieu de travail et pendant ses heures de travail expose le salarié à une sanction disciplinaire qui, selon l’activité qu’il exerce, et le contexte, peut aller jusqu’au licenciement.
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Cet article a été rédigé par Maître Nathalie Lailler, avocate spécialiste en droit du travail, de la sécurité sociale et de la protection sociale.
Si vous souhaitez une réponse documentée ou un conseil, vous pouvez demander une consultation en ligne avec Maître Lailler ici.
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