Harcèlement moral : l’employeur peut s’exonérer de sa responsabilité sous certaines conditions
Dans une décision du 1er juin 2016, la Cour de cassation vient de modifier sa jurisprudence sur la responsabilité de l’employeur en cas de harcèlement moral.
L’employeur, on le sait, est tenu d’une obligation de sécurité dite « de résultat » en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, et doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés.
L’absence de faute de l’employeur ne peut l’exonérer de sa responsabilité si un salarié avait été victime de harcèlement moral (Cass. soc. 29 juin 2006, n°05-43914).
Peu importe qu’il ait pris des mesures pour faire cesser les agissements (Cass. soc. 3 février 2010, n°08-44019).
Dans une décision récente, la Cour de cassation avait amorcé une évolution en décidant que l’employeur ne méconnaissait pas son obligation de sécurité de résultat dès lors qu’il justifiait avoir pris toutes les mesures de prévention et d’information prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 du code du travail (Cass. soc. 25 novembre 2015, n°12-24444).
- Dans sa décision du 1er juin 2016, la Cour de cassation applique sa jurisprudence de 2015 aux situations de harcèlement moral et modifie par conséquent sa jurisprudence antérieure . Elle considère désormais que l’employeur peut s’exonérer de sa responsabilité lorsqu’une situation de harcèlement moral se produit dans son entreprise, à deux conditions:
1°) avoir immédiatement pris les mesures propres à faire cesser la situation, dès qu’il en a été informé, circonstance nécessaire mais pas suffisante;
2°) justifier avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 du code du travail, et notamment avoir préalablement mis en œuvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral.
- Quels sont les faits qui sont à l’origine de cette décision ?
Un agent de qualité, employé dans une entreprise de fabrication de radiateurs tubulaires, avais saisi le Conseil de prud’hommes d’une action en résiliation judiciaire de son contrat de travail , estimant être victime de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique. En d’autres termes, il demandait aux juges de constater les fautes de l’employeur (manquement à son obligation de sécurité) et d’en tirer les conséquences en prononçant la rupture du contrat (résiliation) aux torts de l’employeur.
En défense, l’employeur exposait avoir pris les mesures suivantes:
- en ce qui concerne les mesures de prévention: il avait modifié son règlement intérieur pour y insérer une procédure d’alerte en matière de harcèlement moral;
- en ce qui concerne les mesures prises pour faire cesser la situation de harcèlement: dès qu’il avait eu connaissance du conflit personnel du salarié avec son supérieur hiérarchique, il avait mis en œuvre immédiatement une enquête interne sur la réalité des faits, une réunion de médiation avec le médecin du travail, le directeur des ressources humaines et trois membres du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail en prenant la décision au cours de cette réunion d’organiser une mission de médiation pendant trois mois entre les deux salariés en cause confiée au directeur des ressources humaines.
La Cour d’appel de Douai avait considéré que les actions prises par l’employeur étaient de nature à l’exonérer de toute responsabilité en matière de harcèlement moral :
« S’agissant des dispositifs de prévention du harcèlement moral que tout employeur doit mettre en œuvre dans son entreprise, il convient de souligner que de par la nature même des faits de harcèlement moral qu’il s’agit de prévenir, un tel dispositif ne peut avoir principalement pour objet que de faciliter pour les salariés s’estimant victimes de tels faits la possibilité d’en alerter directement leur employeur ou par l’intermédiaire de représentants qualifiés du personnel ».
La Cour avait relevé que l’employeur avait modifié son règlement intérieur pour y insérer une procédure d’alerte en matière de harcèlement moral.
En conséquence, la Cour d’appel de Douai avait rejeté la demande du salarié au titre du harcèlement moral, jugeant que l’employeur avait satisfait à ses obligations en matière de sécurité.
- La Cour de cassation n’est pas de cet avis.
Elle rappelle tout d’abord, dans un attendu de principe, que « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser« .
Elle constate ensuite que l’employeur n’avait pas pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et, notamment, il n’avait pas mis en œuvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral.
L’arrêt de la Cour de cassation est très clair : l’employeur doit avoir mis en place des actions d’information et de formation pour prévenir la survenance de faits de harcèlement.
A défaut, et même s’il a immédiatement réagi lorsque les faits lui ont été révélés, l’employeur ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité.
Ces deux conditions (prévention et action) sont cumulatives
Ce qu’il faut retenir :
Les employeurs, tenus à une obligation de sécurité « de résultat »à l’égard des salariés, doivent tirer les conclusions qui s’imposent, suite à cette décision.
Rendue en matière de harcèlement moral, cette décision peut, à notre sens, être étendue à tous faits en rapport avec la sécurité et l’intégrité physique et mentale des travailleur, tels que: harcèlement sexuel, violences physiques entre salariés …
L’employeur doit par conséquent:
– prévenir : en organisant des actions de prévention, d’information, et des formations adaptées avant que de tels faits ne surviennent;
– agir : en prenant immédiatement des mesures lorsque des faits de harcèlement ou de violence sont dénoncés, par exemple: effectuer une enquête interne pour prendre connaissance de la réalité des faits, consulter le médecin du travail, organiser une médiation entre les deux salariés en cause en faisant appel à un médiateur (voir l’article publié sur le Blog pratique du droit du travail), et si les faits le justifient, en procédant au licenciement du harceleur.
A défaut, l’employeur ne pourra pas s’exonérer de sa responsabilité et sera condamné à indemniser le salarié victime.
Cet article a été rédigé par Maître Nathalie Lailler, avocate spécialiste en droit du travail, de la sécurité sociale et de la protection sociale.
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