Quand les employeurs sont condamnés pénalement pour harcèlement moral …
Chaque année, des employeurs sont condamnés par les Conseils de prud’hommes pour harcèlement moral.
Mais c’est oublier que des condamnations pénales sont également prononcées, certains salariés préférant se tourner vers les juridictions répressives.
L’article 222-33-2 du Code pénal qui réprime le harcèlement moral – identique à celui de l’article L.1152-1 du Code du travail – précise : « Le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende ».
- La décision du Tribunal correction d’Amiens du 31 mai 2012 – affaire Sup de Co Amiens :
Le 31 mai dernier, le tribunal correctionnel d’Amiens a condamné le directeur général de Sup de Co Amiens, à 8 mois d’emprisonnement avec sursis et 5 000 euros d’amende, pour harcèlement moral à l’encontre 7 salariés avec, en toile de fond, un contexte particulièrement dramatique puisqu’une ancienne directrice de l’école s’était suicidée sur son lieu de travail ; l’ancienne secrétaire générale qui avait été déclassée s’était quant à elle défenestrée depuis son bureau ; une troisième salariée, assistante pédagogique, avait fait plusieurs tentatives de suicide, dénonçant à chaque fois dans une lettre les pressions qu’elle subissait. Sept victimes au total s’étaient constituées parties civiles.
Dans ses réquisitions, le Procureur avait dénoncé un « management pathogène ».
Trois autres prévenus comparaissaient : le directeur délégué, la directrice administrative, et le directeur de l’ISAM (Institut supérieur d’administration et de management, rattaché à Sup de Co).
Ils ont tous trois été relaxés et le parquet d’Amiens, comme on pouvait s’y attendre, compte tenu de ses réquisitions (6 mois de prison avec sursis pour les deux principaux prévenus et des peines d’amende pour les quatre prévenus de 5 000 à 15 000 euros), a fait appel de la décision, de même que les victimes. L’affaire sera entièrement rejugée devant la Cour d’Appel d’Amiens dans les prochains mois.
- Exemples de faits qualifiés de harcèlement moral qui ont donné lieu à des condamnations pénales :
Cour d’appel de Caen – 26 mai 2009 – RG 09/680 :
Condamnation du co-gérant d’une société d’ambulances à un mois d’emprisonnement avec sursis et 6 000 euros d’amende.
La cour d’appel a estimé que la salariée, qui s’était vue retirer ses fonctions de directrice, avait été affectée à des travaux de facturation, avait été humiliée de devoir travailler dans un local annexe de l’entreprise, dépourvu de matériel bureautique performant, sous la tutelle d’une salariée moins qualifiée et moins expérimentée, de devoir effectuer des tâches dégradantes eu égard à sa fonction, son âge et son état de santé, en devant compter le stock du garage au retour de son arrêt-maladie pour dépression, avant d’être finalement contrainte de rester devant un bureau vide.
Il est notable de préciser que le co-gérant avait été condamné en 1ère instance, par le tribunal correctionnel de Coutances, à 5 000 euros d’amende; le 2ème co-gérant, avait lui, pour les mêmes faits, été condamné à un mois d’emprisonnement avec sursis et 6 000 euros d’amende ; il n’avait pas interjeté appel. La chambre des appels correctionnels a alourdi la peine du 1er co-gérant « afin qu’il prenne conscience de la gravité de son comportement, ce qui ne semble pas avoir été, jusqu’alors le cas, puisqu’il a fait appel de sa condamnation prononcée en première instance ».
Il est vrai que la condamnation initiale n’était pas très lourde, si l’on se réfère à d’autres décisions de Cours d’appel, par exemple celle de Reims dans l’arrêt ci-après.
Cour d’appel de Reims – 29 octobre 2008 – RG 07/76 :
Condamnation d’une directrice de l’URSSAF à 3 mois d’emprisonnement avec sursis.
La cour d’appel a estimé, s’agissant de la 1ère plaignante, que la transformation d’un cadre, responsable d’un service, en agent technique chargé de travaux de rédaction, est un déclassement ; qu’un tel désaveu, sans procédure disciplinaire préalable, et sans aucune concertation, et la prolongation de cet état de déclassement durant des mois, constituent bien un harcèlement ;
S’agissant de la 2nde plaignante, la Cour a jugé que « retirer à un responsable de service l’exercice effectif de son autorité sur ses subordonnés et de son pouvoir de direction de son unité, sans qu’il y ait eu une quelconque officialisation de cette évolution de situation et de ses raisons, et de l’écarter systématiquement des organes de décision réelle, constitue bien des agissements répétés de harcèlement ayant pour objet et pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits ou à la dignité de la personne visée ».
Cour d’appel de Toulouse – 25 juin 2008 – RG 07/01129 :
Condamnation d’un couple de boulangers à 1 000 euros d’amende chacun, pour avoir imposé à leurs salariés de mauvaises conditions de travail et d’hygiène, ainsi que des injures et propos dégradants, le mauvais climat de travail ayant entraîné un changement continuel d’employés (14 sur 18 n’ont travaillé que sur des périodes courtes de deux semaines à quatre mois), ces agissements répétés ayant été de nature à porter atteinte à la dignité et aux droits des salariés et ayant eu des conséquences négatives sur leur avenir professionnel puisqu’il y a eu pour toutes les plaignantes rupture du contrat de travail.
Cour d’appel d’ Amiens – 6 juin 2008 – RG 07/01249 :
Condamnation de l’exploitant d’un débit de boissons à 4 mois d’emprisonnement et à une peine complémentaire d’interdiction d’exploiter un débit de boissons pendant 3 ans, pour avoir infligé à sa salariée des insultes, brimades, propos méprisants, rabaissement, pressions pour la contraindre à démissionner, gestes déplacés, dévalorisation constante du travail et humiliation devant les clients, actes d’agressivité physique et brimades (obligation d’enlever la poussière du plafond), le comportement de l’employeur étant en partie lié à la procédure prud’homale engagée par la salariée du fait des salaires impayés.
Cet article a été rédigé par Maître Nathalie Lailler, avocate spécialiste en droit du travail, de la sécurité sociale et de la protection sociale.
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