Homosexualité et discrimination au travail: quel est le rôle du juge ?
Lorsqu’un salarié soutient être victime d’une discrimination, le juge doit rechercher si les éléments présentés par le salarié peuvent laisser supposer l’existence d’une telle discrimination.
C’est ce que vient de rappeler la Cour de cassation dans une décision du 6 novembre 2013.
Les faits étaient les suivants:
Un salarié, Alain X. avait été engagé dans une société informatique en qualité de technicien réseau.
Il soutenait qu’après avoir appris son homosexualité, sa responsable lui avait retiré un dossier de e-learning dont il était en charge et pour lequel le client l’avait sollicité personnellement.
Alain X. avait dénoncé à sa hiérarchie, dans un courriel, les propos qui avaient été tenus à son égard par sa responsable, dans une réunion, et le ton sur lequel elle s’était exprimée, jugeant qu’ils avaient « dépassé le cadre professionnel ».
Il avait également écrit à la responsable des ressources humaines pour demander la mise en place d’une procédure de conciliation à raison d’une action de discrimination à son encontre et sollicité un entretien.
Convoqué à un entretien préalable 15 jours après le retrait du dossier de e-learning dont il était en charge, puis licencié pour faute grave, Alain X. saisissait le Conseil de prud’hommes d’une demande de nullité de son licenciement pour discrimination en raison de son orientation sexuelle, sa réintégration et le paiement des salaires bruts dus à compter de la date du licenciement et jusqu’à la date effective de la réintégration.
Le salarié fondait ses demandes sur les articles L1132-1et L1132-4 du code du travail:
– Article L1132-1:
Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.
Article L1132-4:
Toute disposition ou tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre est nul.
Le licenciement fondé sur une discrimination liée à l’ homosexualité du salarié peut être annulé par le juge. En ce cas, le salarié a droit à être réintégré dans son emploi ou, à défaut, dans un emploi équivalent, avec le versement d’un rappel de salaires correspondant aux salaires perdus depuis son licenciement jusqu’à la réintégration.
Si le salarié ne demande pas cette réintégration ou si elle s’avère impossible, le salarié peut alors prétendre au versement de toutes les indemnités de rupture (indemnités de licenciement et de préavis) ainsi qu’à des dommages- intérêts d’un montant au moins égal à six mois au titre du caractère illicite du licenciement, et ce, quelle que soit la taille de l’entreprise et l’ancienneté du salarié (indemnité-sanction).
Si le salarié est contraint de renoncer à la réintégration ordonnée par le juge parce que l’employeur qui s’oppose à la réintégration décidée par le juge, il s’expose alors à devoir payer non seulement les indemnités de rupture, les dommages-intérêts à hauteur minimum de 6 mois mais également toutes les rémunérations dues au salarié jusqu’à sa renonciation.
Les juges du fond déboutent Alain X. de ses demandes, estimant qu’il ne rapporte aucun propos, mesure, décision, attitude laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte à son égard.
La Cour d’appel de Lyon ne retient pas la discrimination mais juge que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamne la société à verser à Monsieur Alain X. la somme de 22 500,00 euros.
Alain X. forme un pourvoi en cassation contre cette décision, souhaitant voir juger que son licenciement est lié à la connaissance par sa supérieure hiérarchique de son homosexualité et qu’il est donc discriminatoire.
La Cour de cassation va retenir son argumentation et censurer la cour d’appel de Lyon.
Elle constate que le salarié soutenait qu’un mois après avoir appris son orientation sexuelle son supérieur lui avait retiré un dossier contrairement à la volonté du client concerné et qu’à peine deux semaines après ce retrait il l’avait convoqué à un entretien préalable à son licenciement pour faute grave.
La Cour de cassation juge que la Cour d’appel, tout en constatant que le licenciement prononcé était dépourvu de cause réelle et sérieuse, s’est abstenue de rechercher si ces éléments ne pouvaient pas laisser supposer l’existence d’une discrimination.
Ce qu’il faut retenir: lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’une telle discrimination et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Si l’employeur n’apporte pas cette preuve, il s’expose alors à ce que le licenciement du salarié soit déclaré nul par application des articles L1132-1 et L1132-4 du code du travail relatifs à la discrimination.
Source : Cour de cassation, chambre sociale, 6 novembre 2013 n°de pourvoi 12-22270
Cet article a été rédigé par Maître Nathalie Lailler, avocate spécialiste en droit du travail, de la sécurité sociale et de la protection sociale.
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