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Propos injurieux sur Facebook : dans l’affaire ALTEN, la montagne accouche d’une souris

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La cour d’appel de Versailles vient de condamner l’entreprise ALTEN sur la forme mais pas sur le fond.

Revenons deux ans en arrière : en 2010, le Conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) doit juger l’une des premières affaires Facebook. Elle  va défrayer la chronique.

Les faits sont les suivants : une cadre chargée du recrutement dans une entreprise participe à une discussion avec deux autres salariés sur la page Facebook de l’un d’entre eux.

Croit-elle partager une conversation privée ? En ce cas, elle se trompe. Son « ami » a en effet choisi de partager sa page avec  ses amis ainsi qu’avec les amis de ses amis ; l’un de ces «ami d’ami », étonné par les propos échangés, décide de communiquer à l’entreprise une copie-écran des conversations échangées où il est question d’un « club très fermé des néfastes » que l’on intègre uniquement si l’on respecte un rite dirigé contre la « supérieure hiérarchique ». La salariée évoque une plaisanterie ; l’employeur la licencie, ainsi que ses collègues, pour « incitation à rébellion contre la hiérarchie et dénigrement envers la société ».

La question posée au Conseil de prud’hommes est double :

–  Facebook est-il un espace public ?

–  Peut –on être licencié pour y avoir tenu des propos abusifs ?

  • Par décision du 19 novembre 2010, le Conseil de Boulogne-Billancourt juge le licenciement des salariées fondées, estimant que :

– l’employeur n’a pas violé le droit au respect de la vie privée de la salariée car l’accès de la page de son « ami » dépassait la sphère privée ;

– les salariés ont abusé de son droit d’expression visé à l’article L.1121-1 du Code du travail et nui à l’image de son employeur, ce qui constitue une faute grave.

Les salariées forment un appel auprès de la Cour d’appel de Versailles.

  • Au même moment, avec  l’explosion des échanges sur les réseaux sociaux, les contentieux se succèdent à Poitiers, Périgueux, Caen (avec l’affaire Webhelp) … On attend des juges qu’ils précisent des règles : un mur Facebook est-il un espace privé ou public ? peut-on y tenir n’importe quels propos à l’égard de son employeur ?
  • Le  15 novembre 2011, la Cour d’appel de Besançon estime que le réseau social doit être nécessairement considéré, au regard de sa finalité et de son organisation, comme un espace public et estime fondée le licenciement d’une salariée qui avait tenu des propos « violents et excessifs » à l’égard de son employeur (« ils méritent juste qu’on leur mette le feu à cette boîte de merde »).
  • Le 16 décembre 2011, la Cour d’appel de Douai juge abusif le licenciement d’un salarié qui a tenu sur sa page privée Facebook des propos diffamatoires et injurieux à l’encontre de son employeur.

Il s’agissait d’un animateur radio qui bénéficiait d’une promesse d’embauche en CDD pour une saison (il avait déjà eu un contrat de ce type auparavant). Apprenant qu’un autre salarié n’avait pas été reconduit dans son contrat, il écrit alors sur sa page Facebook lisible par ses fans en qualifiant la direction de « belles balletringues anti-professionnelles » (baltringue étant un mot argotique désignant communément une balance). Informée, la direction avait décidé de ne pas donner suite à sa promesse d’embauche.

Le conseil de prud’hommes de Tourcoing avait jugé que la rétractation de la promesse était justifiée du fait des injures et menaces proférées à l’encontre de la direction sur Facebook

La cour d’appel de Douai, saisie par le salarié, avait au contraire jugé que « des propos diffamatoires ou injurieux ne constituent pas un évènement irrésistible ou insurmontable faisant obstacle à la poursuite du contrat », que de tels propos, tenus par un salarié à l’encontre de son employeur ne sont pas constitutifs d’une faute grave, faute définie en jurisprudence comme celle qui rend impossible le maintien du lien contractuel, même pendant la durée d’un préavis et qui justifie la rupture immédiate du contrat (voir l’article paru sur Juritravail).

  • Le 17 janvier 2012, la 17ème chambre correctionnelle de Paris, juge un salarié du centre d’appels Webhelp de Caen coupable d’injure publique pour avoir publié sur le profil  Facebook CGT FAPT Webhelp, les phrases suivantes : « journée de merde, temps de merde, boulot de merde, boîte de merde, chefs de merde », estimant que « les expressions utilisées excédaient les limites de la critique admissible, y compris lorsqu’elle s’exerce dans un cadre syndical » et le condamne à une amende de 500 euros avec sursis et à verser un euro de dommages-intérêts  à Webhelp (voir l’article paru sur Juritravail).

C’est dire que l’on attendait avec impatience l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles dans l’affaire ALTEN: la Cour allait-elle confirmer ou non la décision du Conseil de Prud’hommes de Boulogne-Billancourt et dire, comme la Cour d’appel de Besançon, que les salariées avaient abusé de leur droit d’expression  ou bien, comme la Cour d’appel de Douai, considérer que les propos tenus ne justifiaient pas la rupture du contrat de travail ?

A l’audience qui s’est tenue au mois de janvier 2012, l’avocat général Jacques CHOLET (déjà connu pour son intervention dans l’affaire du licenciement d’une femme voilée dans la crèche Baby Loup, où il avait estimé que le licenciement était licite en raison du respect du principe de laïcité et de la vulnérabilité des enfants) était intervenu pour soutenir la confirmation du jugement, estimant que le licenciement des salariées était justifié.

A Versailles, la montagne a finalement accouché d’une souris : mercredi 22 février, la Cour d’appel a décidé de déclarer le licenciement des deux salariées sans cause réelle et sérieuse, invoquant la règle bien connue « non bis in idem » : on ne peut sanctionner deux fois un même fait , règle confirmée par une jurisprudence constante. La Cour a en effet relevé que les deux salariées avaient déjà été sanctionnées pour les faits reprochés au moyen d’une mise à pied disciplinaire.

Le licenciement prononcé par la société ALTEN est condamné sur un point de procédure, certes fondamental, mais on reste sur sa fin en ce qui concerne le fond de l’affaire : les salariées avaient-elles dépassé les limites autorisées par la liberté d’expression ? s’étaient-elles exprimées sur un espace privé ou public ? Qu’aurait-on jugé si la discussion s’était tenue dans le seul cercle des « amis »? A partir de combien d’amis un cercle privé devient-il public ?

Autant de questions auxquels les juges auront à répondre dans les prochains contentieux qui leur seront soumis  afin de préciser les limites de la liberté d’expression sur le réseau « social ».

L’auteure de cet article

Cet article a été rédigé par Maître Nathalie Lailler, avocate spécialiste en droit du travail, de la sécurité sociale et de la protection sociale.

Si vous souhaitez une réponse documentée ou un conseil, vous pouvez demander une consultation en ligne avec Maître Lailler ici.

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